Synopsis : Chagrin d’école, dans la lignée de Comme un roman, aborde la question de l’école du point de vue de l’élève, et en l’occurrence du mauvais élève. Daniel Pennac, ancien cancre lui-même, étudie cette figure du folklore populaire en lui donnant ses lettres de noblesse, en lui restituant aussi son poids d’angoisse et de douleur.
Ceci
n’est pas un roman. Ce n’est pas non plus une autobiographie.
En
2007, Daniel Pennac écrit un véritable plaidoyer pour les cancres. Ancien
cancre lui-même, il sait ce que souffrance de ne pas pouvoir apprendre veut
dire. Souffrance aussi de se sentir isolé dans une famille qui ne connaît pas,
jusqu’à lui, l’échec scolaire.
Mais
comment un cancre a pu devenir enseignant puis écrivain ? Grâce à la
générosité d’un professeur qui a su l’amener à la lecture en lui demandant
d’écrire lui-même un roman ne comportant aucune faute d’orthographe. Son
sauveur ! Enfin il existait aux yeux de quelqu’un en dehors de l’habit du
cancre, le bon dernier de la classe.
Il
y a donc l’intelligence d’un enseignant qui a su trouver la bonne méthode, mais
il y a aussi les liens avec son frère Bernard (voir dernier livre « Mon
frère » paru en 2018). Ce dernier avait la patience de lui expliquer les
incompris aussi souvent qu’il le fallait. Il lui démontrait que le « par
cœur » demandé par les professeurs n’était pas toujours adapté et qu’il
devait trouver des solutions par lui-même.
Ce
livre, qui a reçu le prix Renaudot lors de sa première sortie, est pour moi un
« classique ». Il devrait être intégré dans les ouvrages à lire
obligatoirement par les élèves-enseignants au cours de leur formation.
En
étant passé de cancre à professeur, Daniel Pennac est bien placé pour tirer
quelques leçons de cette double expérience. Il le fait en toute humilité. Il ne
pense pas posséder toutes les clés de la réussite des élèves et celle des
enseignants.
Il
se qualifie de « sauveur de cancres », tout en restant modeste. Ayant
abandonné le cartable de professeur pour la plume d’écrivain, il lui arrive de
croiser des cancres d’aujourd’hui. Sont-ce les mêmes ? L’environnement a
bien changé, mais les causes et les conséquences ne diffèrent pas tant que
cela.
Je
n’ai pas dévoré ce livre comme on ne lâche pas un roman. Ce n’était pas non
plus le but de l’auteur. On a tous autour de nous, famille et amis, un ou
plusieurs cancres ou au moins un élève qui a rencontré des difficultés. Daniel
Pennac nous fait revivre quelques souvenirs indirects et nous donne envie de
les partager avec les intéressés d’alors en commentant « tu vois, tu
n’étais pas le seul ! »
J’ai
un peu moins apprécié les dernières pages qui sont plus des conseils sociétaux,
car je ne sais pas si on trouvera un jour la solution aux différentes maladies
de notre société. Mais Daniel Pennac nous prescrit un premier traitement :
celui qui redonne l’amour de l’apprentissage. Puissions-nous suivre
l’ordonnance pour le bien-être des générations futures.
(…) Nos « mauvais
élèves » (élèves réputés sans devenir) ne viennent jamais seuls à l’école.
C’est un oignon qui entre dans la classe : quelques couches de chagrin, de
peur, d’inquiétude, de rancœur, de colère, d’envies inassouvies, de renoncement
furieux, accumulés sur fond de passé honteux, de présent menaçant, de futur
condamné.
(…) Féroce candeur des
majorités de pouvoir… Ah ! les tenants d’une norme, et quelle qu’elle
soit : norme culturelle, norme familiale, norme d’entreprise, norme
politique, norme religieuse, norme de clan, de club, de bande, de quartier,
norme de la santé, norme du muscle ou norme de la cervelle (…)
(…) Il suffit d’un
professeur – un seul ! – pour nous sauver de nous-mêmes et nous faire
oublier tous les autres.
C’est du moins le souvenir
que je garde de monsieur Bal.
Il était notre professeur
de mathématiques en première. (…) Il nous attendait assis à son bureau, nous
saluait aimablement, et dès ses premiers mots, nous entrions en mathématique.
De quoi était faite cette heure qui nous retenait tant ? Essentiellement
de la matière que Monsieur Bal y enseignait et dont il semblait habité, ce qui
faisait de lui un être curieusement vivant, calme et bon. Étrange bonté, née de
la connaissance même, désir naturel de partager avec nous la
« matière » qui ravissait son esprit et dont il ne pouvait concevoir
qu’elle nous fût répulsive, ou seulement étrangère. Bal était pétri de sa
matière et de ses élèves. Il avait quelque chose du ravi de la crèche
mathématique, une effarante innocence. L’idée qu’il pût être chahuté n’avait
jamais dû l’effleurer, et l’envie de nous moquer de lui ne nous serait jamais
venue, tant son bonheur d’enseigner était convaincant.
Éditions
Folio – Essai - 298 pages
Un écrivain toujours positif quand il parle de la lecture.
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