En 1908, dans le huis clos d'une maison bourgeoise du Cher, s'épanouit le sentiment amoureux le plus pur- et le plus inattendu. Victoire, précipitée dans un mariage arrangé avec un notaire, attend depuis cinq ans un fruit de cette union malheureuse. Lorsque la bonne de dix-sept ans, Céleste, tombe enceinte : cet enfant sera celui du couple, l'héritier Boisvaillant tant espéré. Victoire n'a pas la fibre maternelle, et le nourrisson dépérit. Céleste, mue par son instinct, décide de porter secours à l'enfant à qui elle a donné le jour...
Grand prix RTL-Lire 2015 et prix des libraires 2015, Amours conduit le lecteur au plus près de ses émotions, fait exploser les cadres de la conformité bourgeoise pour toucher à l'éclosion du désir, la prise de conscience du corps, la ferveur et la pureté d'un sentiment qui balayera tout.
Amours fut pour moi une très belle
lecture. C’est un court roman dans lequel l’auteur ne perd pas une minute. Tout
y est efficace pour nous serrer le cœur. Et cela commence dès le premier
chapitre.
Si l’on se
plonge dans le roman en ne connaissant que le titre (prometteur), ce que je
fis, le début in medias res est
surprenant, déstabilisant : en effet, dans la chambre de bonne située à
l’étage de la demeure bourgeoise d’Anselme de Boisvaillant, on assiste au viol
de Céleste, jeune domestique, par son maître. C’est évoqué de façon tout à fait
objective, mais la situation est d’autant plus révoltante qu’elle fut
probablement banale pendant toute une époque… Cependant, l’on peut dire que malgré sa
dureté, en quelques sortes ce chapitre nous met en selle. L’écriture est
fluide, on est emporté, et l’on imagine déjà les conséquences. Nous les avons
déjà vues ailleurs (chez Maupassant par exemple, dans Une vie, Julien aimait aussi beaucoup monter dans la chambre de la
bonne Rosalie…).
Et l’on
perçoit aussi cette ouverture comme une dénonciation de ce que cachait la
condition domestique au début du XXe. L’auteur ne semble pas réellement prendre
le parti de Céleste, elle s’efface pour mieux nous laisser juger. Et c’est
efficace. On est engagé aux côtés de Céleste, c’est elle que l’on suit tout au long du
roman, elle semble effacée, écrasée, douce, exploitée, mais elle est sans doute
le personnage le plus déterminé, le plus fort du roman.
« Chaque matin, Céleste commence
sa journée par ces mots : Sainte-Marie,
mère du monde, protégez-nous, protégez-moi… Rien de plus, pas une prière
apprise, mais ces mots vers celle qui offre aux autres son amour inaltérable. Sainte-Marie, mère du monde, protégez-nous,
protégez-moi… Comme une forteresse imprenable. »
C’est
ainsi, dans cette croyance un peu naïve, que Céleste trouve sa force, pour
affronter son destin qu’elle sait déjà difficile. Et les chapitres courts s’enchaînent,
et Céleste enceinte, va finalement s’en sortir. Car ses patrons y trouveront
leur avantage. Et puis l’amour. La rencontre des deux femmes, Céleste et
Victoire, qui pourtant cohabitent, a
lieu tardivement, grâce à l’enfant. Victoire semble un peu soudainement
considérer Céleste. L’amour naît alors, inattendu et immédiat, et peut prendre
un peu de court le lecteur. Personnellement je ne l’avais pas envisagé, même si
j’imaginais bien quelque coalition des femmes contre Anselme. Leur relation,
leurs nuits d’amour sont l’apogée du parcours de Céleste. C’est certainement ce
qu’elle vit de plus beau, car après cela sa trajectoire la mène inévitablement
à sa fin. Il y a presque du Zola dans le parcours « triangulaire » du
personnage de Céleste.
L’intrigue resserrée
ne met en scène que peu de personnages, que l’on ne voit, à peu de choses près,
qu’en un seul lieu : la demeure d’Anselme de Boisvaillant. Les personnages
y sont presque enfermés, qui dans son travail, sa condition de domestique, qui
dans sa vie vaine de bourgeoise, qui dans son étude… Et pourtant il n’y a
d’alternatives pour aucun. Céleste comme Victoire sont là pour ne plus être des
bouches à nourrir encombrantes, Huguette et Pierre, le couple de domestiques,
étaient déjà là avant la naissance d’Anselme. C’est assez pessimiste quand on y
pense, mais l’écriture et le roman ne sont pas pesants. Au contraire,
c’est plein de vie !
Et, par
petites touches, Léonor de Récondo construit tout de même des personnages ayant
une réelle épaisseur psychologique. C’est tellement habile ! Huguette et
Pierre sont peu évoqués mais l’on saisit tout de ces deux-là, tellement
touchants ! Et pour Anselme, Victoire et Céleste, on les saisit à travers l’évocation
des divers amours, ça touche à l’enfance et à l’amour paternel/maternel et
filial. Ils manquent tous trois à leur façon d’amour de la part de leurs
parents, et l’enfant qui naît est pour tous trois, et aussi pour le couple de
domestiques sans enfant, une possibilité nouvelle d’amour.
L’évocation
des milieux se fait brillamment, en
quelques phrases. Et s’il y a convergence
quant à la condition de la femme - Victoire la bourgeoise, comme Céleste la
paysanne, doivent prouver finalement leur utilité à exister - il y a une
opposition clé dans le roman : pour Céleste, comme pour sa mère les
enfants arrivent, alors que l’on n’en veut pas ou plus, alors que pour Victoire
ils ne viennent pas et c’est le pire des échecs. (Là encore je vous renvoie à
Maupassant et à une de ses nouvelles les plus célèbres et que j’aime
vraiment : Aux champs.) Car la
descendance est un but en soi pour le couple bourgeois, mais surtout pour
Anselme. Car il ne veut pas d’un enfant par amour, là encore c’est une époque.
S’il aime Victoire, c’est à sa façon c’est à dire comme il aime l’image de
l’épouse bourgeoise, l’image que son couple doit renvoyer. Anselme, bon
bourgeois, pas vraiment subtil. Pas un instant il ne semble s’interroger sur ses
actes (et en même temps ‘est dans son éducation : on sait que sa mère par
le passé a encouragé donc cautionné ce genre de pratique). C’est à se demander
s’il a une morale ! Il est content d’avoir une descendance fut-elle le
fruit d’un viol, et après la naissance du petit Adrien, il ne semble pas
devenir un homme meilleur. Un aspect de ce personnage nous émeut toutefois
: il a une blessure profonde : son père. Léonor de Récondo parle donc de
la bourgeoisie à l’aube du XXe et du coup peut sembler hors de propos car elle
décrit et dénonce des choses qui ne sont pas de notre temps : quelle est
la portée de cette dénonciation bien trop tardive ? Mais ce n’est pas ce qui
est au cœur du livre. Ce qui y est c’est bien l’histoire d’amour inattendue
entre deux femmes par-delà leurs milieux d’origine, et malgré les codes de leur
société.
Mais ce n’est
pas étonnant de la part du personnage de Céleste. Elle a une force et une volonté
exemplaires. Elle subit et accepte : le viol, l’amour
« insuffisant » de sa mère (à qui elle doit rappeler lequel de ses
enfants elle est), l’absence d’aide d’Huguette, elle acceptera aussi les rêves
déraisonnables de Victoire et se sacrifie en silence. Elle aime sans condition,
que ce soit la Vierge, Victoire, sa mère ou Adrien son fils, et pourtant elle
semble tout affronter seule tout au long du roman (son accouchement est
mémorable). Et son côté martyre n’est pas pathétique, plutôt admirable. En
comparaison, Victoire est un personnage fade, vide, dénué de réflexion, de
raison, surtout au début du roman. Elle subit sans être admirable. Elle a dû
épouser Anselme, elle doit tenir son rôle de bourgeoise : « Elle se
promet soudain d’aimer plus Anselme, de s’y contraindre. Elle n’écoute plus le
sermon et énumère dans son esprit ses résolutions. Reprendre en mains la
maison. Peut-être que tout commence par la maison. Se sentir plus investie. Faire
des confitures. Oui, c’est ça. Cet après-midi, elle fera des pots de figue.
Pierre en a justement cueilli dans le jardin. Bien tenir son intérieur est le
début de tout, comme le dit si bien sa mère. » Son intérêt est quand même
de permettre la critique du clergé, mais non de la religion. En effet elle
s’ouvre naïvement à un prêtre et lui avoue son amour pour Céleste.
Ce
livre est à découvrir, pour ma part je lirai très certainement les autres
romans de l’auteur.
Éditions Sabine Wespieser - Littérature contemporaine - 280 pages
Je note, merci ça me donne envie
RépondreSupprimerBonne soirée
Bisous
J'espère que ça te plaira !
SupprimerOn voit cet auteur de plus en plus sur les blogs. J'ai lu un titre de lui, je pense.
RépondreSupprimerBonne semaine.
Bonjour Philippe !
SupprimerLe dernier livre de Léonor de Recondo, "Point Cardinal", a été publié en septembre, c'est peut-être pour cela ?
Lequel as-tu lu ? Je suis très curieuse du reste de son oeuvre !
J'ai pour ma part l'intention de lire bientôt Pietra Viva, et le dernier si j'arrive à mettre la main dessus à la bibliothèque !
à bientôt !
en lisant ta chronique on sent que tu as apprécié ta lecture.
RépondreSupprimerOh oui ! Le problème c’est de trouver un livre à la hauteur après... à bientôt !
RépondreSupprimerJe suis tellement contente ... J'a eu du mal à en sortir... J'avais juste envie de le relire! Le style de Léonor de Récondo est un un bonheur. Je l'ai rencontré deux fois et c'est à chaque fois magique. Je te conseille "Pietra Viva". Bonne lecture
RépondreSupprimerTu as rencontré l’auteur ??? Quelle chance ! Je me suis justement acheté Pietra Viva ! Je t’en dirai des nouvelles ! À bientôt.
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerCette chronique donne vraiment envie de lire cet ouvrage. Huit clos, province... Cela pourrait évoquer François Mauriac, non ?
En tous les cas merci à toi Khadija. Ton style et ton écriture sont tout à fait plaisants. Tes chroniques sont très "fouillées". Bravo.
Bonjour Rabelette !
SupprimerEffectivement, on peut penser à Mauriac, merci de me le rappeler. N'hésite pas à le lire et à me dire ce que tu en as pensé.
Et merci merci pour ton retour sur mes écrits, un véritable encouragement.
à bientôt.
Je te rejoins, Céleste est LE personnage de ce livre. Une plume assez brut par moment, j'ai été un peu secouée par la scène d'ouverture d'autant plus lorsqu'on comprend que Céleste est toute jeune ( pas que je trouve moins grave le viol sur un/une adulte). Un triangle assez malsain où les grands gagnent toujours ... Bel article merci pour ce partage.
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